La France et sa version de l’Islam

À l’issue du premier tour de scrutin en France, Marine Le Pen, candidate de l’extrême droite, fait partie des deux derniers candidats à la présidence, aux côtés du centriste Emmanuel Macron. Compte tenu de la fréquence à laquelle Le Pen a invoqué le spectre du fondamentalisme islamique tout au long de sa campagne, on pourrait s’attendre à ce que les Musulmans français s’inquiètent de la possibilité qu’elle remporte le second tour. Mais Tareq Oubrou, imam populaire de la Grande Mosquée de Bordeaux et théologien de renom, m’a dit qu’il n’était pas inquiet. Il ne blâme pas non plus les éléments de la société française qui nourrissent les craintes de l’islam. Le lendemain matin, après l’annonce des résultats, il a parlé de «craintes légitimes» parmi les Français et semblait imposer aux musulmans le fardeau de rendre l’islam plus compatible avec la France et sa forte saveur de laïcité d’Etat. Oubrou, né au Maroc, est l’un des principaux défenseurs de l’islam progressiste. Bien aimé de l’élite politique française, il prêche en français et en arabe, critique le voile ou le foulard, insiste sur le fait que l’islam est compatible avec les idéaux français au plus profond de ses frontières et ne craint pas les menaces de mort qu’il reçoit de la part des radicaux. «C’est le rôle de la religion d’instaurer des réformes et de respecter les lois de la République», me dit Oubrou, avant d’expliquer comment lui-même et d’autres imams travaillaient à la création d’un nouvel islam français. Cette religion réformée, complétée par ce qu’il appelle une «théologie préventive», est censée être, sinon à l’épreuve des terroristes, du moins résistante à la cooptation par les fondamentalistes. Notre conversation, que j’ai traduite du français, a été légèrement modifiée pour plus de clarté et de longueur. Sigal Samuel: Que pensez-vous des résultats du premier tour de scrutin? Tareq Oubrou: Ces résultats étaient attendus. ce n’était pas une grande surprise. Mais la montée du Front national montre que la société française est en crise, une crise économique et identitaire. Les mêmes questions qui animent l’Amérique – la mondialisation, le chômage, le terrorisme – ces questions jouent un rôle important dans nos élections aujourd’hui. La société française a peur de l’islam, du terrorisme et l’avancée du Front national en témoigne. Samuel: Que pensez-vous d’une éventuelle victoire de Le Pen et de son impact sur les musulmans? Oubrou: Cela ne m’inquiète pas. Le principal problème du Front national concerne l’immigration, pas les musulmans français. Et Le Pen ne peut pas changer la loi. La société française va réagir. Il n’accepte pas le racisme. Le fait que Le Pen soit au pouvoir ne signifie pas que la société acceptera quoi que ce soit. Mais je ne pense pas que le Front national gouvernera. … Ce n’est pas facile de gouverner quand on n’a pas l’expérience ni le plan. Comment quittez-vous l’Europe? Comment vous isolez-vous du monde? Comment pouvez-vous définitivement sceller les frontières? Les politiciens promettent beaucoup de choses, mais une fois qu’ils acquièrent le pouvoir, ils réalisent que la réalité est très complexe. Nous avons vu cela avec Trump: il a promis de se retirer du monde, mais la réalité le rattrape: il doit s’engager avec le monde, sinon il y a le chaos. Samuel: Comment une victoire de Macron aurait-elle un impact sur les musulmans? Oubrou: Macron n’a pas joué les problèmes d’identité. Il s’est présenté comme le candidat de l’Europe à l’identité ouverte. Il a parlé de la nécessité de lutter contre le terrorisme, mais rarement de l’islamisme. Je ne connais pas son esprit, mais d’après ses déclarations, il n’a apparemment aucun problème avec l’islam. Le problème, c’est le terrorisme. Mais ce qui compte pour les musulmans, c’est ce qui se passe dans la société, au-delà des politiciens. … Les Français ne comprennent pas la pratique religieuse parce que leurs propres traditions sont tellement, laïques. Pour eux, toute pratique musulmane est une forme d’islamisme. Ce préjugé est reflété par de nombreux politiciens, à droite comme à gauche.